Selon Monsieur Roger Bila
KABORE ,
dans la tradition des contes oraux colportés de villages
en villages par les GRIOTS (conteurs ambulants )
1. La double
défaite du Moogho-Naba
Il était une fois, dans l’histoire du royaume du
Moogho, une histoire ancienne, oubliée dans la préhistoire
du monde
, une histoire vivante, ayant survécu dans la mémoire
des hommes, un roi tout-puissant appelé le Roi-Soleil
,
qui avait conquis et soumis toutes les tribus de la région,
sauf la tribu des Nion-Nionsés qu’on avait surnommée
les Enfants des Tempêtes . Cette insoumission blessait
beaucoup le Roi-Soleil dans son amour propre personnel,
et le torturait profondément dans son ambition de grand
roi . Aussi convoqua-t-il un jour le Ouidi-Naba, le chef de
sa cavalerie .
Le Ouidi-Naba vint, sans se faire prier, et sans se faire attendre,
exécuta à la perfection une triple révérence
respectueuse,
et salua les trois soleils du royaume :
Il salua
le Grand Soleil du ciel infini .
Il salua le Dieu-Soleil de l’univers indéfini .
Il salua le Roi-Soleil du royaume du Moogho .
Et le tout
puissant roi lui ordonna alors :
«
Va avec la cavalerie valeureuse des cavaliers sorciers.
Va avec la cavalerie courageuse des cavaliers éperviers
.
Va avec la cavalerie fougueuse des cavaliers cordonniers .
Va conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
»
Le Ouidi-Naba
partit sur-le-champ, sans se faire prier et sans trop tarder,
alla batailler et guerroyer pendant
douze fois trente jours, et revint vaincu et dépouillé
avec un seul cavalier sorcier, un seul cavalier épervier,
un seul cavalier cordonnier .
Le Roi-Soleil se sentit encore très humilié et
très diminué par cette grande défaite,
aussi,
convoqua-t-il le Tampsoba-Naba , le chef de son infanterie .
Le Tampsoba-Naba vint avec pompe et se découvrit avec
modestie, il arriva en grand seigneur
et se comporta en pauvre serviteur, il salua les trois soleils
du royaume :
Il salua le Grand Soleil du ciel infini .
Il salua le Dieu-Soleil de l’univers indéfini .
Il salua le Roi-Soleil du Moogho .
Et le tout
puissant roi lui adressa ses ordres :
«
Va avec l’infanterie redoutable des fantassins assassins
.
Va avec l’infanterie sauvage des fantassins fantômes
.
Va avec l’infanterie invaincue des fantassins formidables.
Va conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
. »
Le Tampsoba-Naba
prit congé avec respect et partit avec fracas, il quitta
les lieux avec déférence et
convoqua son infanterie avec véhémence.
Il alla batailler et guerroyer pendant douze fois trente jours,
et puis il revint vaincu avec
un seul fantassin assassin, un seul fantassin fantôme,
un seul fantassin formidable .
Le Roi-Soleil fut encore fortement choqué et terriblement
froissé.
Il souffrit beaucoup de cette double défaite qui sacrait
sa grande impuissance et consacrait
l’insoumission impertinente et intolérable de la
tribu des Nion-Nionsés .
2. Le cheval
de la princesse YENNEGA
Or, il se
trouvait que le tout puissant roi avait une jeune fille toute
belle du nom de YENNEGA,
qui, contrairement aux autres filles de son temps et de tous
les temps,
contrairement aux autres filles de son royaume et de tous les
autres royaumes,
n’avait pour seul et unique loisir que de faire du cheval
et de faire la guerre .
Elle vint trouver son père et lui ouvrit son cœur
:
«
Ô mon père bien aimé ,
ô mon roi vénéré ,
je voudrais un cheval mâle
et qu’il soit rapide comme le flair du nez
et qu’il soit rapide comme l’éclair du ciel
et qu’il soit rapide comme l’air de l’atmosphère,
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
»
Mais son
père et roi lui répondit un peu plus en père
et un peu moins en roi :
« Une fille est seulement faite
pour être bien faite
et faire des enfants
et faire la cuisine ;
une fille n’est pas faite
pour être mal faite
et faire du cheval
et faire des conquêtes » .
La princesse Yennega alla trouver sa mère et lui fit
part de ses voeux :
«O ma mère bien-aimée ,
ô ma reine vénérée ,
je voudrais un cheval mâle
et qu’il soit fougueux comme la foudre du ciel
et qu’il soit impétueux comme la force des tempêtes
et qu’il soit hargneux comme la flèche des archers
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
» .
Mais sa mère et reine lui répondit un peu plus
en mère et un peu moins en reine :
« Une fille est seulement faite
pour être bien faite
et faire l’amour
et faire la vaisselle ;
une fille n’est pas faite
pour être mal faite
et faire des affaires
et faire de la guerre » .
Devant le
double refus de ses parents , le princesse Yennega prit son
parti
d’aller trouver le palefrenier de la cour royale et lui
dit :
«
O palefrenier bien dévoué,
je voudrais un cheval mâle
dont le pelage se rapporte au ramage des perdrix,
dont le ramage se rapporte à l’âge de la
pierre,
dont l’âge se rapporte au plumage des oiseaux
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nions-Nionsés
».
Le palefrenier la mena devant un cheval mâle, beau comme
un soleil couchant ,
gracieux comme un soleil levant , radieux comme un soleil de
midi et lui dit :
«
Veux-tu du cheval Fleur-d’Hivernage,
son pelage se rapporte au ramage des perdrix,
son ramage se rapporte à l’âge de la pierre,
son âge se rapporte au plumage des oiseaux ».
« Non, répondit la princesse Yennéga ,
je ne veux pas du cheval Fleur-d’Hivernage,
je voudrais un cheval mâle
dont la hauteur se rapporte à la grandeur
dont la grandeur se rapporte à la longueur,
dont la longueur se rapporte à la largeur
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
».
Le palefrenier
la mena devant un cheval mâle, grand comme un éléphant
de grandeur nature,
haut comme une girafe naturellement haute, large comme une baleine
exagérément large et lui dit :
«
Veux-tu du cheval Géant-d’Hivernage,
sa hauteur se rapporte à sa grandeur,
sa grandeur se rapporte à sa longueur,
sa longueur se rapporte à sa largeur » .
« Non, répondit la princesse Yennega,
je ne veux pas du cheval Géant-d’Hivernage ,
je voudrais un cheval mâle
dont la prestance est égale à la puissance,
dont la puissance est égale à l’élégance,
dont l’élégance est égale à
l’aisance
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés
».
Le palefrenier la mena devant un cheval mâle, qui avait
de l’allure,
qui avait de la stature et qui avait de l’encolure, et
lui demanda :
«
Veux-tu du Cheval Enigme-d’Hivernage,
sa prestance est égale à sa puissance,
sa puissance est égale à son élégance,
son élégance est égale à son aisance
» .
«
Oui , répondit la princesse Yennega,
je veux du cheval Enigme-d’Hivernage » .
«
Il s’agit, précisa le palefrenier,
d’un cheval de sexe mâle,
qui ne hennit pas mais qui barrit,
qui ne rue pas mais qui rugit,
qui ne galope pas mais qui gambade.
Veux-tu du cheval Enigme-d’Hivernage ? »
«
Oui , répondit encore une fois la princesse Yennega,
je veux du cheval Enigme-d’Hivernage » .
«
Il s’agit, précisa pour la seconde fois le palefrenier,
d’un cheval de sexe mâle,
qui possède trois clés :
une clé pour ouvrir sa marche,
une clé pour fermer sa marche,
une clé pour guérir ou infliger un mal .
Veux-tu du cheval Enigme-d’Hivernage ? »
«
Oui, répondit la princesse Yennega encore une fois ,
je veux du cheval Enigme-d’Hivernage » .
«
Il s’agit, précisa pour la troisième fois
le palefrenier,
de trois clés qui ne sont pas des clés en or,
de trois clés qui ne sont pas des clés en bronze,
de trois clés qui ne sont pas des clés en argent,
mais de trois clés qui sont des mots de langage,
mais de trois clés qui sont des phrases de sages,
mais de trois clés qui sont des codes de verbiages.
Veux-tu du cheval Enigme-d’Hivernage ? »
«
Oui, répondit invariablement le princesse,
je veux du cheval Enigme-d’Hivernage » .
«
Eh bien, conclut le palefrenier de la cour royale,
je te fais don du cheval Enigme-d’Hivernage,
il sait guérir les malades et soulager les infirmes,
il sait punir les méchants et frapper les maudits »
.
3. La guérison
des invalides
La princesse
Yennega enfourcha sans attendre Enigme-d’Hivernage, avec
impatience et avec empressement
et tenta de le faire partir. Elle le tapa et tapota avec le
pied et le coup de pied .
Elle lui tira et tirailla le mors de la bouche et des lèvres
. Elle le cravacha et le flagella à la croupe et à
la nuque .
Mais Enigme d’Hivernage ne bougea pas d’un pouce,
et ne broncha pas d’un poil .
Le palefrenier de la cour royale s’avança alors
et lança les incantations
qui devaient être la clé destinée à
ouvrir la marche :
«
Va, pur sang de race pure de cheval,
Va, fils de termite, et fils de termitière,
Va, coeur d’ouragan et cœur d’orage,
Va, va et va ! »
A ces mots
, Enigme-d’Hivernage détala promptement et trotta,
trotta, trotta, pendant une journée entière,
sans ralentir l’allure et sans arrêter sa course
. La princesse Yennega, perchée sur son dos,
commença à sentir la fatigue et à ressentir
la faim . Elle s’avisa de s’arrêter à
l’approche d’un village .
Elle le tapa avec le pied et le coup de pied . Elle lui tira
et tirailla le mors de la bouche et des lèvres .
Elle le cravacha et le flagella à la croupe et à
la nuque, mais Enigme-d’Hivernage trottait,
trottait, et trottait, sans diminuer sa vitesse, sans
arrêter sa course .
Elle se rappela qu’il lui fallait débiter les vocables
magiques destinés à fermer sa marche, et elle
s’écria :
« Stop, pur sang de race pure de cheval,
Stop, fils de termite et fils de termitière,
Stop, cœur d’ouragan, et cœur d’orage,
Stop, stop et stop »
A ces mots,
Enigme-d’Hivernage s’arrêta net, et c’était
au milieu du village,
et c’était au milieu de la cour des notables du
village, et c’était au milieu de la nuit .
Trois jeunes gens vinrent à sa rencontre de par sa droite
, et trois autres jeunes vinrent à sa rencontre de par
sa gauche .
Ils s’avancèrent, exécutèrent de
grandes révérences et déclarèrent
en choeur :
« Salut à toi,
ô princesse Yennega.
Que fais-tu ici, si loin du Moogho,
Où vas-tu d’un pas si empressé ? »
La princesse
fut surprise, ahurie et flattée, d’avoir été
reconnue, saluée et honorée par les six étrangers,
et demanda à son tour :
«
Quel est ce village , perdu dans la brousse et qui êtes-vous,
ô braves jeunes gens ? »
Les trois
jeunes gens venus de sa droite lui répondirent d’abord
:
« Je suis un cavaleur sorcier de la cavalerie royale du
Ouidi-Naba, dit le premier étranger .
« Je suis un cavalier épervier de la cavalerie
royale, dit le second .
« Je suis un cavalier cordonnier de la cavalerie royale,
dit le troisième »
Les trois
autres jeunes venus de sa gauche répondirent à
leur tour :
«
Je suis un fantassin assassin de l’infanterie royale du
Tampsoba-Naba, dit le premier .
« Je suis un fantassin fantôme de l’infanterie
royale, dit le second .
« Je suis un fantassin formidable de l’infanterie
royale, dit le troisième . »
Puis, ils précisèrent tous ensemble :
«
Nous sommes tous dans ce village, des infirmes, des rescapés
et des débris de l’armée du Ouidi-Naba
et du Tampsoba-Naba qui allèrent livrer bataille contre
la tribu des Nion-Nionsés, les Enfants des Tempêtes
»
La princesse
Yennega observa avec pitié et compassion ces jeunes gens
pitoyables et en piteux état,
qui avaient tous soit un bras en moins, soit une jambe en moins,
soit un œil en moins.
Elle se souvint alors des dires du palefrenier de la cour royale
qui disait qu’Enigme-d’Hivernage
savait guérir les malades et soulager les infirmes, et
elle s’écria :
«
Guéris, pur sang de race pure de cheval,
Guéris, fils de termite et fils de termitière,
Guéris, cœur d’ouragan et cœur d’orage,
Guéris, guéris et guéris. »
A ces mots,
Enigme-d’Hivernage se mit à barrir et non pas à
hennir, il se mit à gambader et non pas à galoper
.
Puis il se mit à faire le tour des jeunes gens infirmes,
et au bout du troisième tour, les jeunes gens furent
tous guéris de leur infirmité.
Ils remercièrent beaucoup, avec beaucoup de chaleur et
beaucoup d’effusion,
la princesse Yennega de ce prodige merveilleux et celle-ci leur
dit encore :
«
O braves gens qui firent preuve de bravoure,
ô braves combattants qui combattirent les Nion-Nionsés,
conduisez-moi au marché du village ».
Les jeunes
gens la conduisirent au marché du village et un spectacle
déplorable et désolant s’offrit à
ses yeux.
Tout le monde dans ce village était infirme, infirme
à la suite de la guerre contre la tribu des Nion-Nionsés
.
Elle se retourna vers son cheval Enigme-d’Hivernage et
lui lança encore :
«
Guéris, pur sang de la race pure de cheval,
Guéris, fils de termite et fils de termitière,
Guéris, cœur d’ouragan et cœur d’orage,
Guéris, guéris et guéris ».
A ces mots,
Enigme-d’Hivernage hurla et hulula comme un vieux hibou,
ronfla et roucoula comme un vieux pigeon,
puis il trotta autour du marché, et au troisième
tour de trot, tous les gens du marché furent guéris
de leurs infirmités.
4. La victoire
sur les Nion-Nionsés
Tout le
village, en signe de gratitude et en guise de remerciement,
se décida à se mobiliser, pour suivre la princesse
Yennega,
pour aller conquérir et soumettre la tribu des Nion-Nionsés.
Et ils allèrent tous, avec elle à leur tête,
vers le royaume redoutable et tant redouté des intrépides
Nion-Nionsés, ces Enfants des Tempêtes.
Ils arrivèrent après une lune de marche, et à
leur approche, la tribu des Nion-Nionsés, avertie par
ses éclaireurs,
envoya à leur rencontre une armée de dix fois
dix mille cavaliers, et une armée de cent fois cent mille
fantassins.
Un bain de sang, un carnage sauvage, et un choc sanglant se
préparait à l’horizon et semblait inévitable.
Mais la princesse Yennega fit arrêter sa troupe, se tourna
vers son cheval Enigme-d’Hivernage et cria :
«
Frappe, pur sang de race pure de cheval,
Frappe, fils de termite et fils de termitière,
Frappe, cœur d’ouragan et cœur d’orage,
Frappe, frappe, et frappe ».
A ces mots,
Enigme-d’Hivernage jeta un regard éclair sur l’ombrage
des nuages, huma d’un flair sans faille
l’odeur des combattants et se mit à faire le tour
de l’armée ennemie. Au bout du troisième
tour, l’armée redoutable
et tant redoutée des Nion-Nionsés n’était
plus qu’un débris épars d’officiers
sans armes, de soldats sans bras et de guerriers sans jambes
. Devant ce phénomène hors du commun et hors du
naturel, relevant de la magie et relevant du miracle,
le chef des Nion-Nionsés s’avança vers la
princesse Yennega et déclara :
«
O brave amazone, tu as réussi là où maints
guerriers se sont heurtés, et là où maints
généraux ont échoué.
Je t’offre la soumission des Nion-Nionsés, et en
signe de cette soumission, voilà le tribut de ma tribu
pour l’année en cours,
voilà ma couronne de chef de ces indomptables Enfants
des Tempêtes.
Et s’il y a une requête que je demande à
te faire, c’est de faire en sorte que mes gens recouvrent
toutes leurs facultés et toute leur santé ».
Devant tant
d’humilité exprimée avec tant de dignité,
devant un tel chef qui savait vaincre sa défaite
comme naguère il avait su dominer ses victoires, la princesse
Yennega fit également preuve de grandeur et de bienveillance.
Elle se tourna encore vers Enigme-d’Hivernage pour lui
crier :
«
Miséricorde, pur sang de race pure de cheval
Miséricorde, fils de termite et fils de termitière,
Miséricorde, cœur d’ouragan et cœur d’orage,
Miséricorde, miséricorde, et miséricorde
».
A ces mots,
Enigme-d’Hivernage lança un regard glacial sur
les monts et les monticules,
lança un regard sévère sur les cols et
les collines, et se mit à faire le tour de l’armée
des Nion-Nionsés.
Au bout du troisième tour, tous les combattants furent
guéris de leurs infirmités.
5. Epilogue
Et depuis
ce temps les Nion-Nionsés et les habitants du royaume
du Moogho,
c’est-à-dire les Mossé, vécurent
dans la paix, l’entente et la grande harmonie.
La princesse Yennega retourna avec toute sa cavalerie et toute
son infanterie.
Elle remit les éléments de soumission des Nion-Nionsés
à son père et roi.
Et depuis
lors le Roi-Soleil comprit
Qu’une fille n’est pas seulement faite
Pour être bien faite
Et faire des enfants
Et faire la cuisine,
Qu’une fille est aussi faite
Pour être bien faite
Et faire du cheval
Et faire de la guerre
Et depuis lors la reine-mère comprit elle aussi
Qu’une fille n’est pas seulement faite
Pour être bien faite
Et faire l’amour
Et faire la vaisselle
Qu’une fille est aussi faite
Pour être bien faite
Et faire des affaires
Et faire des conquêtes.
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